Le bonheur, c’est un flingue tiède

Par; Jules

« Happiness is a warm gun »

J’ai pas mal hésité quant à la place à accorder à cet article. Dans la mesure où il m’est personnel, il aurait mieux été sur mon blog. Mais puisqu’il fait référence à une citation que les moins de cinquante ans comprendront, j’aime autant le mettre ici.

Happiness_Is_A_Warm_Gun_by_SpaceBarAttackComme dirait Jon (qui semble oublier qu’on a ouvert ce blog à deux il y a bientôt de ça un an !), « on s’en fout ».
Tous les matins, j’ai près de trois quarts d’heure de voiture pour aller au boulot, tout seul. Parce que l’an dernier je faisais un trajet similaire 1/ Au soleil, et 2/ avec mes collègues chéries, d’où de nombreuses rigolades, engueulades, marrades, trucs en -ades. Là je suis seul, du coup je réécoute mes vieux disques. Dont l’un des cinq albums de l’île déserte: l’album blanc des Beatles, un album inquiétant et expérimental, dont le premier CD a pour huitième piste cette chanson géniale.
Géniale à plus d’un titre. J’y suis venu par une autre chanson, l’une de mes préférées d’un autre album de l’île déserte: « Paranoïd Android », de  Radiohead, dont Thom Yorke disait qu’il s’en était inspiré. En effet: trois chansons en une, aussi simplement que ça. Je reparlerai probablement ailleurs de ce qu’a fait Radiohead de ce procédé, pour le moment c’est cette formule, « happiness is a warm gun » qui a fait ritournelle dans ma tête toute la journée. Non que j’aie, au contraire, une fascination pour les armes, tout cela n’est qu’une impression. La lourdeur, le poids d’une arme dans la main, la tiédeur, l’aura d’un pistolet (que ce mot est laid, qu’il sent son duel du XIXème siècle) qui vient de servir. Cette formule est hallucinante de vérité. Un flingue dont on vient de se servir, c’est une pulsion qui vient d’être évacuée, une irrépressible envie de buter celui qui est en face de moi. Et ce matin, dans les embouteillages de Fleury, cet après-midi quand mes sixièmes se comportaient comme des veaux, oh, oui, happiness would have been a warm gun. Bang, bang, shoot, shoot, comme disent les chœurs de la chanson. On est pas loin de la régularité de l’octosyllabe pour une formule que le français gâcherait. Le bonheur, c’est un flingue chaud. Dieu que c’est laid.
La plus polissée des bondieuses coincées le dira aussi dans un « punaise ! » paroxystique contre une imprimante récalcitrante. Donnez une arme à cette catho BCBG, elle en ferait de la charpie, de cette HP défaillante. Combien vous et moi l’entendons chaque jour en filigrane. Et nous nous comprimons tous d’une manière ou d’une autre. Mal de dos, migraines, maux de gorges… On garde ça pour nous, parce qu’après tout, c’est pas grave. Et ça use, et ça use. On trouve plein de bonnes raisons pour contourner ce « Mais TA GUEULE maintenant » que l’on garde dans la gorge jusqu’à l’angine.
Bien évidemment, n’allez pas sortir la pétoire de Pépé pour tout exploser chez vous, heureusement. Il faut trouver un dérivatif. Pour moi, c’est le piano ou l’écriture. Happiness is a warm pen. C’est sans doute ça, l’art, après tout, un TA GUEULE qu’on varierait, comme Bach a varié les Goldberg. Relisez Proust, par exemple, c’est ça, exactement ça. De la colère, de l’ironie méchante comprimée dans de belles phrases parfaites.